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Citoyenneté

Parce que l’eau est un bien commun

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Comme bien d’autres territoires actuellement, Est Ensemble s’apprête à créer sa propre régie publique pour gérer la distribution de l’eau dans au moins sept de ses neuf communes. L’objectif ? S’éloigner des intérêts privés, maintenir des prix raisonnables et améliorer la qualité des services offerts aux habitants.
Article de Christophe Dutheil, publié dans Canal n°280, juillet-août 2019.

Cette fois, c’est parti. Dans le sillage de leur décision, fin 2017, de ne pas réadhérer au Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif), sept des neuf communes d’Est Ensemble s’apprêtent à donner le coup d’envoi à la création d’une nouvelle régie publique de l’eau, directement gérée par le territoire. Cette régie, qui remplacera le Sedif, sera créée d’ici le 1er juillet 2020. Elle travaillera dans un premier temps en partenariat avec Veolia Eau, dont le contrat de délégation de service public avec le Sedif court jusqu’à fin 2022. Pour la suite, trois scénarios de fonctionnement sont à l’étude : une alimentation à 100 % par Eau de Paris, par l’ouest du territoire ; une alimentation à 100 % par le Sedif, depuis l’est ; ou un mix entre ces deux solutions. 
La décision d’Est Ensemble a été facilitée par une évolution du cadre législatif. La loi NOTRe* de 2015 a en effet transféré aux territoires la compétence de gestion de l’eau potable. Depuis, la démarche a le vent en poupe. France eau publique, réseau de collectivités et de gestionnaires publics de services d’eau et d’assainissement, estime que 40 % des foyers français consomment désormais de l’eau distribuée par un opérateur public (sans intermédiaire privé), contre 28 % en 2001. 
Au cours de ces dernières années, de nombreuses villes de toutes tailles et de toutes couleurs politiques ont en effet choisi de renoncer à faire appel à des entreprises privées (telles Veolia Eau ou Saur), afin de privilégier une gestion publique. Outre Paris, c’est par exemple le cas de Montpellier, Grenoble, Nice, Brest, Valence, Saint-Malo, Vierzon ou encore Rennes.

Un bien essentiel
Mais pourquoi un tel raz-de-marée ? «  Cela fait longtemps qu’il y a un débat sur la légitimité et la moralité de faire du profit à partir de la vente de l’eau, qui est un bien essentiel et revêt donc un caractère d’exceptionnalité,rappelle Rémi Barbier, professeur à l’École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg (ENGEES).La contestation s’est amplifiée dans les années 1990, lorsque des affaires de corruption ont été révélées et lorsqu’il est apparu que la délégation de l’exploitation à des entreprises privées avaient des effets sociaux dévastateurs dans certains pays en développement. Parallèlement, les travaux de la très influente économiste américaine Elinor Ostrom, qui a beaucoup travaillé sur la gestion des ressources naturelles et a reçu un prix Nobel d’économie en 2009, ont montré qu’il existe une alternative viable à la gestion privée : elle consiste à gérer l’eau comme un bien commun, en maintenant l’accès de tous à l’eau potable et en instaurant un principe de gestion communautaire.  »

Le juste prix 
La notion de bien commun n’est pas pour autant synonyme de gratuité – la fourniture de l’eau jusqu’au domicile a un coût, notamment pour la création et l’entretien des canalisations. «  Mais elle signifie que la collectivité considère qu’il faut sortir de la marchandisation et que l’eau doit être vendue à son prix, sans profits  », ajoute le chercheur.
«  Tout homme et toute femme a besoin de respirer de l’air et de boire de l’eau, qui est un bien commun,acquiesce Bertrand Kern, maire de Pantin.J’estime donc que nous avons le devoir de faire en sorte que chacun puisse acquérir au meilleur prix l’eau potable dont il ou elle a besoin pour vivre. Les premières études menées par Est Ensemble, et le retour d’expérience d’Eau de Paris, nous encouragent à franchir le pas : ces informations montrent que la gestion publique de l’eau devrait nous aider à faire baisser les coûts de cette ressource pour les usagers.   »

EN CHIFFRES 

Le réseau d’eau pantinois 

  • 55 469 usagers du service de l’eau à Pantin.
  • 56 kilomètresde canalisation pour l’eau potable.
  • 3,36 millions de m³ d’eau consommés sur l’année.
  • 1,19 euros HT par m³ à Pantin, hors taxes et abonnement.
  • 1,08 euros HT par m³ à Paris en 2019, hors taxes et abonnement.

 

QUI FAIT QUOI ?

Les principaux acteurs franciliens de l’eau  

  • Le Sedif (Syndicat des eaux d’Île-de-France) est le plus grand service public de distribution d’eau potable en France. Il fournit 4,4 millions d’usagers répartis au sein de 144 communes d’Île-de-France. Ce syndicat, propriétaire des usines et des canalisations, a pour mission de produire, de distribuer et de surveiller l’eau potable des communes adhérentes. Il décide des investissements sur son réseau et fixe les tarifs de l’eau potable.
  • Veolia Eau (ex-Compagnie générale des eaux) est le délégataire privé du Sedif depuis sa création, en 1923. En vertu d’un contrat de délégation de service public, renouvelé début 2011 pour une durée de 12 ans, ce groupe est responsable de la production, du transport, de la sécurité, du stockage et de la distribution de l’eau potable sur le territoire des collectivités adhérentes au Sedif.
  • Eau de Paris est la régie publique de la Ville de Paris. Elle a été créée en 2009 par la mairie de Paris, qui souhaitait affirmer que «   la gestion de l’eau, bien commun de l’humanité, devait rester une affaire publique ». Chaque jour, Eau de Paris fournit plus de 3 millions d’usagers (dont 2,2  millions à Paris). Elle capte des eaux souterraines dans un périmètre allant de 100 à 150 kilomètres autour de la capitale.

QUESTIONS À…

Célia Blauel, présidente d’Eau de Paris, adjointe à la maire de Paris déléguée aux questions environnementales. 

Dix ans après sa création, quel bilan faites-vous d’Eau de Paris ? 
Célia Blauel : C’est un très beau succès pour la ville de Paris. Nous avons fait la démonstration qu’une régie publique est tout à fait capable d’innover et de gérer un appareil aussi lourd d’un point de vue industriel. L’équation financière qui a été posée s’avère également très intéressante, aussi bien pour la ville que pour les usagers qui ont vu le prix de l’eau baisser de 8 %. D’un point de vue politique, nous avons prouvé qu’Eau de Paris est bien plus qu’un simple gestionnaire de tuyaux. C’est un acteur du territoire à part entière qui participe à la transition écologique de la capitale et de ses environs.

Comment expliquez-vous ces bons résultats ?
C.B. : Eau de Paris a l’avantage de pouvoir prendre elle-même toutes les décisions, toujours avec une notion d’intérêt général. Nous choisissons la façon dont nous investissons dans les infrastructures et nous avons aussi la possibilité de développer une vraie expertise sur tous les sujets liés à l’eau.

Quelles sont vos priorités pour l’avenir ?
C.B. : Nous allons continuer à améliorer les services offerts en investissant dans le réseau, en renforçant nos actions sociales et en améliorant la relation usagers. Le développement durable et l’écologie sont aussi au cœur de notre stratégie. Cela passera par des investissements dans les énergies renouvelables. Notre but est de réduire au maximum l’empreinte carbone de toutes nos activités.

Êtes-vous prêts à coopérer avec d’autres territoires comme Est Ensemble ?
C.B. : C’est déjà le cas ! Notre régie publique s’appelle Eau de Paris, mais elle intervient dans quatre régions et quatorze départements. Nous avons notamment commencé à mener un certain nombre d’actions auprès des acteurs du monde paysan afin de protéger au maximum la ressource en eau dans les zones de captage. En ce qui concerne l’Île-de-France, nous sommes bien sûr ouverts à tous types de partenariats avec les territoires qui souhaitent, eux aussi, créer leur propre régie. Les relations seront à construire à la carte, en fonction des besoins et des spécificités de chacun.

TÉMOIGNAGE

Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau-Île-de-France

Notre association, créée en 2008, milite pour que l’eau soit considérée comme un bien commun universel qui ne peut faire l’objet d’une appropriation privée. Le mouvement en faveur de la création de régies publiques va dans le bon sens. Il devrait permettre d’en finir avec les pratiques commerciales des opérateurs actuels, qui pénalisent les petits consommateurs et favorisent les plus gros clients : le tarif de l’abonnement, très important dans la facture, est le même pour tous, quel que soit le niveau de consommation.

L’INFO EN +

Est Ensemble a lancé, en 2016, un dispositif visant à aider financièrement les foyers des neuf villes du territoire peinant à régler leurs factures d’eau. 713 familles ont ainsi bénéficié d’une assistance au cours des deux premières années d’existence de ce programme. Les demandes d’aide doivent être effectuées auprès des centres communaux d’action sociale (CCAS) qui, sur la base des ressources déclarées, de la consommation d’eau et de la composition du foyer, vérifient si le dossier est éligible. 

CCAS de Pantin : 84-88, avenue du Général-Leclerc, 01 49 15 40 00.
Ouvert du lundi au vendredi de 8.30 à 12.30 puis de 13.30 à 17.30.