
Environnement
Les mystères de l’Ourcq
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Retrouvez tous les articles du dossier « L'atout Canal », réalisé par Catherine Portaluppi et Guillaume Théchi :
► Dans Canal n°340 (Octobre 2025)
► Dans la rubrique "Aller plus loin"
«Tout a commencé en 1802 lors d’une promenade de Napoléon Bonaparte, Premier consul, qui annonce à son ministre de l’Intérieur, Jean-Antoine Chaptal, son désir de “faire quelque chose pour [son] bon peuple de Paris” », raconte Marie-Pierre Padovani, responsable du service des Canaux de la Ville de Paris. Chaptal aurait répondu : “Sire, donnez-leur de l’eau !” Et c’est ainsi qu’a été décidée la dérivation du cours de la rivière Ourcq pour alimenter la capitale. »
Inauguré en 1821, le canal de l’Ourcq est élargi à la fin du XIXe siècle, en particulier à la hauteur de la place de la Pointe où subsiste d’ailleurs la mémoire de son premier tracé, rue de l’Ancien-Canal. Longtemps lié au passé industriel des villes qu’il traverse, il remplit aujourd’hui une triple fonction :apport d’eau non potable à Paris – pour alimenter les lacs et rivières, arroser les parcs et jardins et nettoyer la voirie – mais aussi transport – de fret et de passagers – et loisirs.
Un axe économique et de loisirs
Axe central pour l’économie locale, des péniches le remontent aujourd’hui encore pour approvisionner en sable et en gravier les centrales à béton d’Eqiom et de Lafarge. Deux autres ports sont d’ailleurs en cours de construction à Bobigny, dont l’un permettra d’évacuer les déchets ménagers provenant du centre de tri de Romainville.
De plus, grâce à l’élargissement et à l’aménagement de ses berges, aujourd’hui lieux de promenade très fréquentés le long des cinq villes d’Est Ensemble qu’il arrose, le canal symbolise le renouveau de la banlieue est. Au fil des ans, il s’est d’ailleurs enrichi de nombreuses animations – Nage ton canal, la Nuit blanche, Pantin-sur-mer... –, y compris place de la Pointe – feu d’artifice du 14-juillet, ouverture de la Saison culturelle… De nouveaux usages récréatifs y ont également fait leur apparition : depuis 22 ans, la base nautique pantinoise accueille, en août, jusqu’à 600 personnes par jour venues essayer pédalos, canoës et autres paddles. De petits bateaux électriques y sont même disponibles à la location pour voguer sur ses eaux calmes, tandis qu’un projet de liaison fluviale régulière pourrait se concrétiser en 2029 entre la place de la Bataille-de-Stalingrad (Paris) et Bondy.
Grand quartier fluvio-culturel
Car, au-delà de Pantin, « le canal de l’Ourcq est l’incarnation du premier vrai quartier touristique du Grand Paris, affirme Vincent Chartier, responsable de la communication pour Seine-Saint-Denis Tourisme. Sa densité en lieux culturels et de fête – au moins 30 ! –, de La Villette au CND, du théâtre du Fil de l’eau à la Prairie du canal, de la Fondation Fiminco aux Magasins généraux, en fait certainement le plus grand quartier fluvio-culturel d’Europe. Il a aussi le mérite de faire disparaître la frontière entre Paris et le 93 puisque, depuis l’eau, le périphérique devient un pont comme un autre ! »
Un lieu unique selon Olivier Raoux, président du groupe Alios qui pilote le projet de réhabilitation des Grandes Serres : « À la hauteur de notre site où il devient bassin, avec l’eau qui affleure au niveau du sol, le canal offre une lumière incroyable et invite à la contemplation. En nous installant ici, nous rejoignons les totems du passé industriel pantinois réinventé, comme les Magasins généraux et les Grands Moulins. Avec notre projet de lieu hybride, où loisirs, culture et activités économiques se côtoieront, nous nous inscrivons aussi dans le grand élan qui, autour de ce cordon ombilical, a aimanté beaucoup d’énergies créatives. » Un lieu d’autant plus accessible qu’il sera relié, début 2026, à la rive sud du canal via une nouvelle passerelle piétonne.
Un atout fraîcheur
Enfin, le canal de l’Ourcq, qui abrite une grande biodiversité – une trentaine d’espèces de poissons, mais aussi des mollusques, crustacés, éponges d’eau douce, oiseaux… –, ainsi que des herbiers et alguiers, est un atout pour contribuer à rafraîchir l’atmosphère : « La présence d’un cours d’eau en ville entraîne une baisse d’1 à 2 degrés de la température de l’air dans un périmètre de quelques dizaines de mètres, surtout s’il y a un peu de vent et qu’il est bordé d’ombrages, explique Martial Haeffelin, climatologue et ingénieur de recherche au CNRS. Elle provoque aussi un effet de “corridor de ventilation naturelle” : la surface de l’eau est moins rugueuse que les surfaces bâties, cela augmente la vitesse du vent au-dessus du cours d’eau, élément important du confort thermique. Enfin, la présence de cet environnement plus ouvert favorise le rafraîchissement nocturne. »
Mais qui gère le canal ?
Qui dit usages divers, dit responsabilités partagées. La gestion du canal de l’Ourcq relève ainsi de différentes entités. Présentation.
► Depuis 1876, la Ville de Paris est propriétaire de trois canaux (Ourcq, Saint-Denis et Saint-Martin), mais aussi de leur domaine public : les berges. Ces dernières, qui permettent l’accès aux canaux pour leur entretien et leur exploitation, restent la propriété de la capitale sur une largeur incompressible, allant de 3,50 à 7,80 mètres selon les endroits.
► Le service des canaux de la Ville de Paris compte 190 agents chargés du fonctionnement et de l’entretien du tout : cours d’eau, infrastructures (écluses, passerelles…) et berges – sauf sur certains territoires tels que Pantin, qui a signé une convention avec Paris pour garder l’entretien et le nettoyage des siennes. Les pistes cyclables, quant à elles, dépendent du département de la Seine-Saint-Denis.
► D’ici à fin 2025, un schéma directeur devrait voir le jour entre les multiples partenaires (dont aussi Est Ensemble, Plaine commune, Grand Paris Grand Est). Objectif : définir, à l’horizon de 15 ans, une vision commune des canaux et des usages possibles.
► Enfin, la règlementation de la circulation relève de l’État : la police de la navigation intérieure est en effet en charge du contrôle de la vitesse des bateaux, limitée à 6 km/h. Car, au-delà, les berges peuvent être inondées.
3 questions à…Sabine Barles, Professeure d’urbanisme et d’aménagement à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Grand Prix de l’urbanisme 2025.

Canal : Pourquoi observe-t-on aujourd’hui une telle attractivité pour l’eau en ville ?
Sabine Barles : Il existe une relation très forte entre les sociétés humaines et l’eau mais, à partir du XIXe siècle, les villes ont connu une profonde transformation de l’espace urbain qui s’est traduite, entre autres, par l’imperméabilisation des sols et l’enterrement des rivières, aux motifs de l’hygiène et de l’évacuation des eaux sales. Devenus des égouts, les cours d’eau ont alors souvent disparu du paysage urbain. Le canal de l’Ourcq est aujourd’hui emblématique de la redécouverte de l’eau en ville, amorcée dans les années 70-80, dans un mouvement général pour une amélioration du cadre de vie urbain. Longtemps limité à sa vocation industrielle, à sa fonction de transport de fret et de source d’eau pour Paris, le canal est aujourd’hui considéré comme une forte valeur ajoutée en matière d’aménagement urbain.
Il n’est plus un repoussoir auquel la ville tourne le dos, mais un atout : il participe à la trame bleue et, étant souvent bordé de végétation, à la trame verte. Il représente donc un support important de biodiversité aquatique et terrestre, surtout dans sa partie amont, en Seine-et-Marne et dans l’Aisne, qui mérite vraiment qu’on aille s’y promener !
Qu’est-ce que le canal de l’Ourcq apporte à un milieu urbain dense comme Pantin ?
S.B. :En ville, le piéton évolue souvent dans un paysage très fermé et un environnement très minéral. La présence du canal, au contraire, crée une discontinuité du paysage et permet des vues dégagées, rares en milieu urbain, et d’autant plus précieuses qu’elles devraient perdurer : on peut difficilement construire sur l’eau !
Quelles sont les vertus bioclimatiques d’un tel cours d’eau pour les villes qu’il traverse ?
S.B. :Le canal est un îlot de fraîcheur important quand il est bordé de végétation : avec son eau qui s’évapore sous l’effet de la chaleur, conjuguée à l’ombre (le jour) et à l’évapotranspiration des arbres (la nuit), il contribue à faire baisser les températures alentours et devient un lieu refuge pour les habitants. De plus, il participe à la formation de vents thermiques : dès qu’il existe une différence de température, l’air chaud s’élève et est remplacé par de l’air plus frais. Le canal peut donc provoquer des circulations d’air bienvenues en cas de fortes chaleurs. Pour qu’il continue à jouer ce rôle, il faut veiller à la végétalisation de ses berges et être vigilant quant à leur accessibilité afin qu’il reste public dans tous les sens du terme.