
Art contemporain
Huit artistes en lice pour le Prix Sheds
Publié le
Un article d'Anne-Laure Lemancel publié dans Canal n°340 octobre 2025
Il y aura, au final, un seul grand vainqueur, doté d’un prix de 2 500 euros et dont l’œuvre intégrera le Fonds municipal d’art contemporain de la ville. Mais, pour l’heure, ils sont huit en lice (dont un duo), proches de la ville – ils y vivent ou y travaillent –, présélectionnés par un jury composé de professionnels et de personnalités du territoire.
Des artistes dont les créations et l’univers seront dévoilés aux Sheds du 17 octobre au 29 novembre. La vocation de ce prix bisannuel dont c’est la deuxième édition ?« Soutenir les artistes de la ville en leur offrant de la visibilité et un petit coup de pouce financier », répond Martina Mosca, responsable du Centre municipal d’art contemporain.
La poésie en fil rouge
Pluridisciplinaire et forcément éclectique, l’exposition a été pensée et organisée par la commissaire Leïla Couradin. « J’aime, pour ouvrir mes imaginaires, relier les créations plastiques à des œuvres littéraires, explique-t-elle. Or, au moment de concevoir cet événement, j’étais entièrement plongée dans la poésie puissante, militante, incisive et percutante, de la poétesse afro-américaine, d’origine caribéenne, Audre Lorde. Elle fut, pour moi, comme une neuvième invitée surprise, un fil rouge qui m’a permis de structurer cette exposition autour de thématiques fortes, à l’image du syncrétisme culturel ou du corps féminin. »
L’art soumis au vote
Ainsi, cet accrochage a été baptisé Des mots vivent dans ma gorge, un titre inspiré d’un vers du poème Charbon d’Audre Lorde. Les artistes y présenteront leur création concourant pour le prix, mais aussi deux ou trois autres pièces afin de refléter leur univers dans sa globalité. Selon un processus démocratique, chaque visiteur sera amené à élire son œuvre favorite à l’issue de sa déambulation : celle qui aura obtenu le plus de suffrages sera intégrée au Fonds municipal d’art contemporain.
Infos pratiques
- Des mots vivent dans ma gorge : du 17 octobre au 29 novembre aux Sheds (45, rue Gabrielle-Josserand). Du mercredi au samedi, de 14.00 à 19.00. Entrée libre.
- Vernissage jeudi 16 octobre, de 18.00 à 21.00
- En savoir plus : sortir.pantin.fr
Zoom sur…Le Prix des enfants
Parce que les goûts pour l’art et la démocratie se forment tôt, les enfants voteront également pour leur œuvre préférée, dans le cadre d’un prix qui leur est spécialement dédié.
► Lors de la première édition, les bambins des Quatre-Chemins inscrits au soutien scolaire avaient sélectionné leur création favorite.
► Cette année, ce sera au tour des 48 esthètes en herbe du Conseil des enfants pantinois d’élire leur lauréat. Et, pour la première fois, l’artiste récompensé recevra une dotation de 500 euros.
Découvrez les artistes en lice !

Rozy Tergemina Sapelkine : La vie en Technicolor
Diplômé·e en textile de l’école Duperré, ainsi que de la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam, Rozy Tergemina Sapelkine, artiste pluridisciplinaire (perruquier·e, sculpteur·rice, costumier·e…), à l’univers saturé de couleurs, s’inspire des traditions populaires – kermesses, arts de la rue, carnavals, drag shows, récits de l’océan Indien –, mais aussi de l’artisanat. Son art évoque également les mondes non humains – fruits, légumes, plantes, animaux… – qui livrent leur propre récit. « Mes créations s’avancent comme des fables à dimensions sociale, politique et poétique », éclaire cette résident·e d’Artagon.
Aux Sheds, iel présente une installation dans un « coin » : murs recouverts de pastel sec, de pigments et couleurs, mais aussi sculptures en vannerie et rideaux aux motifs « Letchi »… Acidulé et gourmand !
► Rozy Tergemina Sapelkine - Instagram
Antoine Dochniak : Corps en résistance
Son travail de sculpture et d’installation résonne avec son enquête « non scientifique et non exhaustive »sur les douleurs articulaires et les luttes ouvrières. « Je traque des espaces de résistance et d’auto-sabotage. Je questionne ainsi la mise à l’arrêt des corps au travail », décrit Antoine Dochniak, diplômé des Beaux-Arts de Valenciennes et de Lyon, aujourd’hui résident d’Artagon.
Pour les Sheds, il exhume la photo d’une radium girl, du nom de ces ouvrières américaines de la montre qui, au début du XXe siècle, furent empoisonnées par la peinture luminescente des cadrans et devinrent pionnières des luttes sociales. Sous l’action de l’artiste, l’ouvrière est rendue fantomatique, quasi invisible entre deux plaques de Plexiglass. Une archive qui dialogue avec un buste noir d’encre, tronqué, en équilibre, et avec une fausse horloge et son coucou d’or. Soit l’expression des corps pris dans les tensions sociales et l’engrenage de mécanismes politiques sournois.
► Antoine Dochniak - Instagram
Carlota Sandoval Lizarralde : Frontières enchantées
« Je m’intéresse aux frontières, à la façon d’habiter l’entre-deux. Je perçois ces interstices comme des lieux féconds de rencontres, plutôt que d’absence et de douleur… » Ainsi s’exprime l’artiste originaire de Colombie Carlota Sandoval Lizarralde, diplômée de la Villa Arson à Nice et résidente d’Artagon. Son art pluridisciplinaire – assemblages d’objets collectés, dessins au pastel gras, performances… – explore l’expérience de la migration, état provisoire où langues et récits se télescopent.
Elle y sonde ses manques – l’absence des proches, le mépris pour les étrangers et l’effacement des peuples autochtones – pour inventer des dessins bariolés comme des paysages luxuriants, des refuges syncrétiques mêlant traditions catholiques, spiritualités ancestrales et imaginaire personnel. Aux Sheds, ses gigantesques dessins suspendus invitent le visiteur à traverser un seuil magique.
► Carlota Sandoval Lizarralde - Instagram
Benjamin Hochart : des manifs et des bulles
Vêtements géants, affiches bigarrées, pièces textiles monumentales, costume d’Arlequin… Benjamin Hochart, diplômé des Beaux-Arts de Bordeaux et de Lyon, lorgne sans hiérarchie du côté des marges populaires, de l’art brut, de la BD et du cinéma de genre. Dans une démarche de recyclage autophage, il utilise la matière de ses propres créations pour en fabriquer de nouvelles.
« Aux Sheds, je présenterai l’œuvre Patrons·Patronnes, une série de pancartes de manif’ de différentes formes – œil géant, masque, dents, tube digestif… –, fabriquées à partir de patrons de couture. L’ensemble s’anime grâce à des personnages en projection vidéo. Il y aura aussi une pile de fanzines offerts aux visiteurs », détaille-t-il. Un art politique et joyeux, au souffle enfantin.
Héloïse Delègue : entre loup et talismans
Si la couleur occupe la place centrale de son « grand bricolage », comme elle nomme son art, l’improvisation reste au cœur de sa pratique, laquelle peut prendre la forme d’installations textiles, de vidéos, de collages, de céramiques ou de pièces sonores.
Pour Héloïse Delègue, tout tourne cependant autour de thématiques cruciales : l’identité, la sexualité, les rapports de pouvoir dans la hiérarchie sociale. Une quête parfois accompagnée d’un travail d’archives. « Je me vois comme une sorte de détective : je glane, scrute, assemble des fragments d’histoires collectives et personnelles », raconte-t-elle.
Aux Sheds, elle présentera une pièce audio, une peinture textile, composée d’un assemblage de tissus suspendus au plafond, et cinq créations en céramique accrochées au mur, comme autant de talismans avec un motif récurrent, celui du loup. « Ce sont des parties obscures de soi à explorer mais aussi des outils de guérison », éclaire-t-elle.
Laura Porter et Sabrina Violet : strates méditatives
Faux ongles, graines de nigelle, éléments industriels, faits main ou comestibles… À partir d’entités hétéroclites, Laura Porter élabore des dispositifs, des sculptures vidéo ou des compositions au sol. La diplômée des Beaux-Arts de Paris s’est alliée avec Sabrina Violet, dont la pratique porte sur la poterie et les émaux.
Pour le Prix Sheds, le duo présente une installation-composition de différentes strates de matériaux – tapissage d’haricots à œil noir, céramiques en technique nerikomi, motifs de plantes qui poussent autour du centre municipal d’art contemporain... Il y aura aussi deux écrans LCD décomposés, sorte de maillage apparent, des tissus, une affiche… « Nous essayons de rassembler des objets et entités très disparates pour faire sens », explique Laura. Une pratique dépouillée, quasi méditative, en écho à l’obsolescence des objets.
Kevin-Ademola Sangosanya : le monde des esprits
Entièrement autodidacte, sa pratique du dessin, de la peinture, de la performance et de l’installation s’intéresse au sacré, à l’intercession auprès des esprits et, en particulier, à l’àse, le principe de vitalité qui infuse la réalité.« C’est un concept spirituel et philosophique central de la culture Yorùbá, explique Kevin-Ademola Sangosanya, membre de Carbone 17, une résidence d’artistes autogérée d’Aubervilliers. J’utilise des matériaux qui possèdent une forte charge spirituelle comme, par exemple, des pages de la Bible. Je m’intéresse aussi aux méta-croyances et au phénomène de la foi. »
Aux Sheds, il expose 17 000 gélules mortelles, fabriquées à partir de cet arbre sacré de l’Europe pré-chrétienne, l’if, enfermées principalement dans des jarres. « Une manière de réfléchir à cette frontière entre vie et mort », résume-t-il.